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Rainer Maria Rilke 1875 - 1926

Le Livre de la Pauvreté et de la Mort
« Car les grandes villes, Seigneur, sont maudites; 
la panique des incendies couve dans leur sein 
et elles n'ont pas de pardon à attendre 
et leur temps leur est compté. 
Là, des hommes insatisfaits peinent à vivre 
et meurent sans savoir pourquoi ils ont souffert; 
et aucun d'eux n'a vu la pauvre grimace 
qui s'est substituée au fond des nuits sans nom 
au sourire heureux d'un peuple plein de foi. 
 
Ils vont au hasard, avilis par l'effort 
de servir sans ardeur des choses dénuées de sens, 
et leurs vêtements s'usent peu à peu, 
et leurs belles mains vieillissent trop tôt. 
 
La foule les bouscule et passe indifférente, 
bien qu'ils soient hésitants et faibles, 
seuls les chiens craintifs qui n'ont pas de gîte 
les suivent un moment en silence. 
 
Ils sont livrés à une multitude de bourreaux 
et le coup de chaque heure leur fait mal; 
ils rôdent, solitaires, autour des hopitaux 
en attendant leur admission avec angoisse. 
 
La mort est là. Non celle dont la voix 
les a miraculeusement touchés dans leurs enfances, 
mais la petite mort comme on la comprend là; 
tandis que leur propre fin pend en eux comme un fruit 
aigre, vert, et qui ne mûrit pas. »

— Rainer Maria Rilke, Le Livre de la Pauvreté et de la Mort, éd. Actes Sud, p. 19

« Seigneur, nous sommes plus pauvres que les pauvres bêtes 
qui, même aveugles, achèvent leur propre mort. »

— Rainer Maria Rilke, Le Livre de la Pauvreté et de la Mort, éd. Actes Sud, p. 21

« Car ce qui fait la mort étrange et difficile, 
c'est qu'elle n'est pas la fin qui nous est due, 
mais l'autre, celle qui nous prend 
avant que notre propre mort soit mûre en nous. »

— Rainer Maria Rilke, Le Livre de la Pauvreté et de la Mort, éd. Actes Sud, p. 21

« Tiens-nous éveillés, une fois au moins; 
révèle ce qui gît au fond de nous. 
 
Ne nous force plus à enfanter dans la souffrance; 
donne à notre enfantement un sens plus lourd. »

— Rainer Maria Rilke, Le Livre de la Pauvreté et de la Mort, éd. Actes Sud, p. 23

« Les grandes villes n'ont rien de vrai; 
elles faussent le jour et la nuit, 
et l'espoir de l'enfant, la vie même des bêtes. 
Et leur silence ment et leurs bruits sont trompeurs. 
 
Rien ne les relie plus au vaste mouvement 
qui gravite éternellement autour du centre que tu es. 
Et les vents écartelés aux détours des ruelles dispersent leur grande clameur en mille chuchotements de haine. 
Heureux les vents qui fuient vers les jardins... »

— Rainer Maria Rilke, Le Livre de la Pauvreté et de la Mort, éd. Actes Sud, p. 23

« Pauvres, ils ne le sont pas; ils ne sont que privés de biens essentiels 
et livrés au hasard, sans force et sans volonté, 
 
Ils sont marqués du sceau d'une angoisse sans nom 
et dépouillés de tout, même du sens de la pauvreté. 
 
La poussière des villes se lève pour souiller leurs visages 
et toutes les immondices s'attachent à eux. 
Ils vont échouer à la dérive comme des épaves; 
ils font peur comme des pestiférés 
mais si le monde sentait le poids de la souffrance 
il porterait les pauvres comme une couronne de roses à son front. 
 
Car les pauvres ont la pureté de la pierre 
et l'innocence de la bête aveugle qui vient de naître; 
et dans leur simplicité pleine de toi, ils ne demandent 
qu'à rester pauvres comme ils le sont en vérité... »

— Rainer Maria Rilke, Le Livre de la Pauvreté et de la Mort, éd. Actes Sud, p. 26

« Sauve-les seulement du péché des grandes villes 
où la haine et la confusion pèsent sur eux. »

— Rainer Maria Rilke, Le Livre de la Pauvreté et de la Mort, éd. Actes Sud, p. 29

« Les grandes villes ne pensent qu'à elles-mêmes 
et entraînent tout dans leur hâte dévorante; 
elles brisent la vie des bêtes comme du bois 
mort et consument des peuples entiers dans leur tourment. 
Et les hommes asservis à une fausse science 
s'égarent, ayant perdu le rythme de la vie 
Et parce qu'ils vont plus vite vers des bruits aussi vains 
ils appellent progrès leur traînée de limace. 
Et ils font parade de leur impudeur comme des filles 
et s'étourdissent au bruit du métal et du verre. 
 
Ils vont sans cesse obsédés d'un mirage 
qui les pousse hors d'eux-mêmes 
L'or règne en tyran et use toutes leurs forces... 
Et ce n'est que sous le fouet de l'alcool et des autres poisons 
qu'ils persistent dans leur agitation stérile. »

— Rainer Maria Rilke, Le Livre de la Pauvreté et de la Mort, éd. Actes Sud, p. 30

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